Florence Jeanblanc-Rissler: la préfète du bout du monde

Acteur incontournable de la présence française dans les territoires les plus reculés du globe, le préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), incarne l’autorité de l’État aux confins du monde. À la fois garant de la souveraineté nationale, gestionnaire d’un patrimoine naturel exceptionnel et coordinateur des missions scientifiques, cet haut fonctionnaire opère depuis Saint-Pierre de La Réunion, tout en veillant aux enjeux stratégiques, environnementaux et logistiques des vastes étendues subantarctiques et antarctiques sous juridiction française. Pour Polar, Madame Jeanblanc-Rissler, préfète administratrice supérieur des TAAF, accepte de revenir sur son expérience à la tête d'une collectivité territoriale si particulière. 

INTERVIEW

12/28/20248 min read

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Florence Jeanblanc-Rissler: la préfète du bout du monde

Acteur incontournable de la présence française dans les territoires les plus reculés du globe, le préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), incarne l’autorité de l’État aux confins du monde. À la fois garant de la souveraineté nationale, gestionnaire d’un patrimoine naturel exceptionnel et coordinateur des missions scientifiques, cet haut fonctionnaire opère depuis Saint-Pierre de La Réunion, tout en veillant aux enjeux stratégiques, environnementaux et logistiques des vastes étendues subantarctiques et antarctiques sous juridiction française. Pour Polar, Madame Jeanblanc-Rissler, préfète administratrice supérieur des TAAF, accepte de revenir sur son expérience à la tête d'une collectivité territoriale si particulière. 

Vous êtes aujourd’hui préfète administratrice supérieure des TAAF. Pour nos lecteurs, pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel ? 

Économie, finances et affaires internationales sont les trois marqueurs de mon parcours professionnel auprès de trois ministères : ministère des transports, ministère de l’économie et des finances où j’ai effectué la majeure partie de mon parcours et ministère de l’Europe et des affaires étrangères (ambassadrice de France en Nouvelle-Zélande puis au Laos). La dimension internationale a été un fil rouge tout au long de ma carrière en alternant des fonctions en administration centrale et à l’étranger, dont 15 ans dans la région Asie-Pacifique, 8 ans en Amérique du Nord et 5 ans auprès des institutions européennes à Bruxelles, en interaction avec de nombreux acteurs publics, mais également privés, et plus largement avec la société civile sur des enjeux très variés : sujets régaliens, politiques publiques, gestion de crise, négociations internationales (OMC, OCDE, G20), développement économique ou RSE.

En votre qualité d’administratrice supérieure, vous êtes la représentante du Gouvernement sur le territoire des Terres australes et antarctiques françaises. On imagine aisément à quel point, ce rôle est très différent de celui d’un préfet “classique”. Pouvez nous en dire davantage sur les particularités de votre métier/poste ?

Le contexte est bien évidemment différent, les territoires et les enjeux également. Les territoires que j’administre n’ont pas de population permanente, les personnes qui y vivent (entre 4 à Tromelin et près de 80 à Kerguelen l’été) séjournent sur ces districts pour des périodes de quelques mois à une année principalement pour des missions professionnelles. Pour autant, l'organisation des journées (ou plutôt des semaines) suit les mêmes impératifs qu'un préfet, à savoir :

  • garantir une présence de terrain, pour mieux comprendre les enjeux, expliquer les orientations, éviter d'agir en étant "hors sol" ;

  • s'impliquer dans le management et la coordination des équipes du siège, pour faire aboutir les projets structurants comme les opérations de restauration des écosystèmes de l’océan Indien (RECI), les différents plans de gestion de réserves naturelles, des pêcheries, et tous les autres grands projets en cours ;

  • faire le lien avec l'échelon central, qui fixe les grandes orientations dans lesquelles les TAAF s'inscrivent pleinement, comme par exemple les politiques publiques en matière de protection de l’environnement, la planification écologique ou la stratégie Indo-pacifique.

”Il est impératif de bien maîtriser les différents enjeux propres à chaque territoire.”

L’une des particularités qui nous a fortement marqué est le fait que vous êtes en charge de territoires par nature très différents, très éloignés des uns des autres et confrontés à des enjeux spécifiques. Comment faîtes-vous pour concilier tout cela?

Les Terre australes et antarctiques françaises, ce sont 5 districts soit 5 circonscriptions administratives, répartis sur plus de 9 000 km dans l’hémisphère sud : le district des Iles Éparses (Tromelin, au nord de La Réunion, et 4 îles situées dans le canal du Mozambique, les districts austraux (Crozet, Kerguelen et Saint-Paul et Amsterdam) et enfin la terre Adélie en Antarctique. Il est donc impératif effectivement, de bien maîtriser les différents enjeux propres à chaque territoire. Cela demande une connaissance des différents territoires et des activités qui y sont menées. A cet effet, j’effectue chaque année une tournée dans les îles Éparses aux côtés des FAZSOI (Forces Armées de la zone sud océan Indien) et je me rends sur les districts subantarctiques lors des passations des chefs de district : au mois d’août pour les districts austraux (Crozet, Kerguelen et Amsterdam) et au mois de novembre pour la terre Adélie. J’échange également tout au long de l’année avec les chefs de districts qui sont mes représentants sur le district sur un rythme au moins hebdomadaire. Ces différents déplacements permettent de faire un état des lieux des besoins et des projets en cours et à mener à bien, mais aussi d’être au contact des femmes et des hommes qui œuvrent chaque jour au maintien des activités de suivi scientifique, mais également au bon déroulement de la vie sur les bases. Je peux enfin compter sur mes équipes au siège qui ont une connaissance fine des territoires et qui sont en lien quotidiennement avec les équipes sur le terrain.

Les TAAF sont des territoires à haute valeur scientifique. 150 chercheurs sont accueillis annuellement dans les TAAF, quels sont votre place et votre rôle dans ce domaine?

Les Terres australes françaises, reconnues pour leur biodiversité exceptionnelle et leur sensibilité aux perturbations environnementales, servent de précieux laboratoires pour observer les effets des changements globaux et mieux les comprendre. Depuis les années 1950, de nombreux programmes sont également menés dans les domaines de la géologie, de la glaciologie, de la biologie ou encore de l’observation des effets du changement climatique. En Antarctique et dans les districts austraux, la logistique scientifique de la soixantaine de programmes conduits est assurée par l'Institut polaire français (IPEV). Dans les Éparses, les TAAF se chargent d’apporter ce soutien logistique, en lien avec les Forces armées de la zone sud de l’océan Indien.

En tant que gestionnaires des réserves naturelles nationales des Terres australes et de Glorieuse et autorité nationale compétente du respect du Protocole de Madrid pour la protection de l’environnement du Traité de l’Antarctique, l’administration supérieure des TAAF, a également pour rôle d’encadrer ces activités de recherche pour s’assurer qu’elles soient menées en conformité avec les plans de gestion des réserves naturelles nationales et, en Antarctique, avec le Protocole de Madrid. Enfin, le rôle des TAAF est également de permettre aux scientifiques d’accomplir leurs missions dans de bonnes conditions de sécurité.

Les régions polaires sont souvent désignées comme “les sentinelles du réchauffement climatique”. Quelles sont vos visions à long terme pour les TAAF, notamment en ce qui concerne les enjeux liés au changement climatique et à la préservation des ressources naturelles ?

Les TAAF sont effectivement et directement concernés sur l’ensemble de nos territoires par la montée des eaux, notamment dans les îles Eparses, associée à une fragilisation du fonctionnement des récifs coralliens (pour mémoire, l’île Tromelin ne culmine qu’à 7 mètres), une augmentation globale des températures moyennes, une baisse globale des précipitations et un assèchement des zones humides, une érosion de la biodiversité en raison, notamment de la modification de la répartition des ressources alimentaires dans les eaux océaniques et des conditions plus favorables au développement des espèces exotiques envahissantes, une accélération de la fonte du glacier Cook à Kerguelen (les différentes études menées envisagent une disparition complète à l’horizon 2100), l’évolution des glaces de mer (la banquise) en Antarctique ou encore la répétition des épisodes de blanchiment des écosystèmes coralliens

Les actions entreprises dans les TAAF à ce sujet sont de plusieurs niveaux. En matière de connaissance et de suivi : les TAAF, éloignées des territoires anthropisés et disposés sur un croissant longitudinal allant de l’équateur à l’Antarctique, constituent des sites privilégiés pour la connaissance et le suivi des changements climatiques, concernant notamment l’état de l’atmosphère, le suivi de l’évolution des glaciers (à Kerguelen et en terre Adélie) et le suivi de long terme des dynamiques des espèces endémiques.

En matière de gestion des milieux, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, qui constituent aujourd’hui la cause principale de l’effondrement de la biodiversité dans les milieux insulaires, constitue un axe majeur de l’action des TAAF. Nous venons dans ce cadre de faire aboutir un projet ambitieux de restauration des écosystèmes (le projet RECI - Restauration des écosystèmes insulaires de l’océan Indien) décliné sous trois opérations d’éradication de mammifères introduits : celle des chats harets à Grande Glorieuse (2023), des souris à Tromelin (2023) et des rongeurs sur l’île Amsterdam (2024). Ces actions mobilisent directement ou indirectement l’ensemble des moyens humains et logistiques des TAAF, avec une composante forte associée à la capacité de transport maritime ou aérien, que ce soit dans les îles australes ou les îles Eparses. En parallèle de ces opérations de restauration, les Terres australes et antarctiques françaises ont adopté en mai 2022 une stratégie ambitieuse de biosécurité qui vise à réduire les risques d’introduction et de dissémination d’espèces exotiques dans les territoires. A l’horizon 2025, un hangar logistique dédié à la biosécurisation du fret destiné aux Australes viendra compléter les mesures déjà mise en place. Les TAAF travaillent également activement avec les Forces armées de la zone sud de l’océan Indien et l’Institut polaire français pour déployer cette politique dans les Iles Eparses et en terre Adélie.

Enfin, sur le plan logistique : l’administration s’est dotée en 2023 d’un plan climat air énergie territorial (PCAET) qui vise à réduire notre empreinte carbone, l’impact des activités humaines dans les districts et à développer la résilience de nos bases. L’ensemble de ces initiatives et de ces projets sont venus nourrir la réflexion portée dans le cadre de la déclinaison territoriale de la planification écologique « Nation France Verte ». à l’horizon 2030. Au-delà de notre positionnement en tant que « sentinelles », les TAAF ont donc déjà commencé à engager des actions sur le long terme afin de préserver au mieux ces territoires et leur patrimoine naturel des effets du changement climatique.

”Il est impossible pour moi de choisir entre le monde des glaces de la terre Adélie, les falaises d’Amsterdam, la faune sauvage de Crozet, l’arche de Kerguelen ou la lagune d’Europa !”

Vous avez eu l’occasion de visiter certains des territoires des TAAF à travers vos déplacements. Une préférence pour l’un d’entre eux?

Comme mentionné précédemment, j’ai cette chance extraordinaire de de me rendre en bateau (les TAAF sont propriétaires de 2 bateaux, le navire polaire l’Astrolabe et notre navire multifonction le Marion Dufresne) sur tous les territoires, notamment à l’occasion de l’arrivée des nouveaux chefs de districts. Ils ont tous leur personnalité et il est impossible pour moi de choisir entre le monde des glaces de la terre Adélie, les falaises d’Amsterdam, la faune sauvage de Crozet, l’arche de Kerguelen ou la lagune d’Europa !

Depuis votre prise de fonction en octobre 2022, quel est l'événement ou la situation qui vous a le plus marquée dans l’exercice de vos responsabilités ?

Il y en a plusieurs mais celui qui résume peut-être le mieux ce que représentent ces territoires pour les hommes et les femmes qui les fréquentent, en mer ou sur terre, c’est la formidable chaine logistique et humaine qui a permis de sauver un marin indonésien sur un bateau de pêche australien victime d’un accident cardiaque, pris en charge par l’équipe médicale à Kerguelen et rapatrié au CHU de La Réunion par l’Astrolabe armé par la Marine nationale. Une belle opération de solidarité !